L'hypocrisie a toujours son utilité | Cael & Jonathan

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ael devait reconnaître à Jonathan une force de caractère dont lui-même manquait beaucoup trop, à vrai dire, car quand il s'exprimait, il semblait totalement sincère en affirmant qu'il allait bien, que la vie suivait son cours et qu'il fallait aller de l'avant. C'était vrai, bien sûr. Les morts ne pouvaient pas être ramenés à la vie (exception faite des vampires, mais autant mettre ces cas à part de côté), et ils ne voudraient certainement pas que l'on se morfonde quoi qu'il en soit, mais plutôt que l'on continue de vivre. C'étaient des choses que Cael devaient se rappeler tous les jours quand son frère venait à lui manquer. Il se disait, quelque part, qu'il devait en être de même pour son interlocuteur. Simplement, ce dernier ne gérait pas le deuil de la même façon. A se montrer constamment fort, Cael se demandait s'il ne finirait pas par craquer, et si ça ne serait pas pire encore à ce moment-là...

Ou bien c'était lui qui dramatisait tout, parce qu'il avait toujours été... trop sensible en réalité. Dans tous les cas, il ne devrait pas se poser tant de questions, Jonathan pouvait bien réagir comme il le voulait à la mort de son frère, et l'essentiel, c'était qu'il aille effectivement bien, ou en tout cas mieux. Ce qui était le cas pour Cael de son côté (mais la mort de Joshua remontait à bien plus longtemps que celle d'Horace, c'est dire)... Dans son cas, la présence de Zoile avait beaucoup aidé. Mais le fé devinait que Jonathan devait lui aussi savoir trouver du soutien où il le désirait. Peut-être auprès de lui, indirectement, aussi ? En tout cas, et sans se rendre compte de combien cela pouvait agacer son interlocuteur, Cael comptait bien être présent, du mieux possible.

-C'est vrai, admit-il dans un sourire. Parce que c'était vrai, oui, quoi qu'il se passe, quoi qu'il advienne, la vie continuait, et il fallait tout simplement faire avec. Et la vie, celle de ceux qui restaient, demeurait pleine de possibilités et de surprises à côté desquelles il ne fallait surtout pas passer, sous peine de manquer sa chance. Alors, quoi de neuf depuis la dernière fois ?

Un sujet informel pour prolonger la conversation. A ses yeux, c'était totalement approprié. Lui, il avait bien envie de se tenir au courant, en tout cas, sans spécialement réaliser que son interlocuteur avait sans doute davantage envie, de son côté, de prendre ses distances un maximum.

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arfois, Cael se demandait si son ami ne le tenait pas volontairement à l'écart de ce qu'était dorénavant son existence. Ce n'était peut-être qu'une impression, après tout Jonathan n'avait jamais été du genre bavard, mais il était bien placé pour savoir combien il était facile de se replier sur soi-même quand on devait affronter certaines épreuves. Oh, il serait loin de dire que son interlocuteur n'avait pas la force de caractère de dépasser l'épreuve, loin de là, surtout que celle-ci remontait un peu à présent, mais dans tous les cas, que ce soit personnellement dirigé contre lui ou juste une manière de faire habituelle, Cael avait le sentiment qu'en discutant avec lui, il ne resterait toujours qu'en surface des choses, preuve en étant de la réponse qu'il apporta à sa question.

Il se contenta de lui apprendre qu'il ne lui arrivait rien de conséquent. Au fond, c'était tant mieux, comme on dit, pas de nouvelles, bonnes nouvelles (encore que certains événements conséquents pouvaient avoir du bon. Jonathan aurait pu rencontrer quelqu'un, par exemple), mais Cael songeait au fond que même s'il avait dû ne pas y avoir grand-chose de conséquent, Cael aurait tout de même été ravi d'en entendre parler. Mais une fois encore, quand l'un appréciait s'épancher sur les détails, l'autre n'y trouvait aucun attrait ni intérêt.

-Eh bien, j'apprends toujours à tenir au mieux mon rôle de père, répondit Cael en retour, même si ce n'est pas évident tous les jours. Zoile est une enfant adorable, mais elle pose de plus en plus de questions sur l'absence de sa mère et moi... je commence à penser que ça ne sert plus à rien d'essayer de la chercher.

Il n'était pas certain que tout ceci intéresserait Jonathan, mais peu importe. Depuis qu'Arseliann était revenu dans sa vie en lui mettant leur fille dans les pattes alors que ce dernier avait jusqu'ici ignoré son existence, elle était un peu au coeur de toutes ces considérations... surtout maintenant que la mère de Zoile avait disparu sans laisser de traces. Aussi, quand il parlait de lui et de sa vie, il y avait de fortes chances de l'entendre parler de sa fille, c'était comme ça.

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as simple, c'était le cas de le dire, en effet, la situation telle qu'elle était n'avait absolument rien d'idéal. Cael était quelqu'un de positif, il tentait de tirer le meilleur parti de la situation, mais il restait lucide, réaliste néanmoins, il en avait suffisamment vu et vécu pour savoir ce que pouvaient signifier une disparition de trop longue durée en leur terre. Tenter, attendre encore était vain, et Cael se serait sans doute résigné depuis longtemps s'il n'y avait Zoile et ses interrogations incessantes.

Il savait qu'il avait de la chance, la petite était maline et lui épargnait des justifications trop difficiles ou alambiquées, elle se contentait généralement d'explications lacunaires, sans doute parce qu'elle aussi devait comprendre, de son côté, qu'attendre encore était utopique. Mais elle gardait ce fond d'espoir qui appartient sans doute à l'enfance... encore que cette dernière se laissait bien vite dérober par les circonstances, dans leur monde.

La question que lui posa Jonathan le désarçonna un peu. A ses yeux, tant qu'il y avait une vie humaine en jeu, les raisons qui l'encourageaient à insister, à espérer, n'avaient que peu d'importance, c'était le résultat qui seul comptait, mais il supposait que la question sous-jacente était davantage de savoir ce que représenterait concrètement la perte d'Arseliann pour le fé.

Et à vrai dire, il n'avait pas la réponse à cette question. Il n'en avait pas la moindre idée. Il n'avait pas vu Arseliann pendant de longues années, et même si la découverte de l'existence de Zoile l'avait forcément poussé à reprendre contact avec elle, sa relation avec elle n'avait rien eu à voir avec ce qu'elle était autrefois. Même en ayant fait son retour dans sa vie, c'était un peu comme si elle faisait partie de son passé quoi qu'il en soit. Ce qui était certain en tout cas, c'était qu'il ne ressentait plus rien pour elle (depuis Dina, il n'était jamais tombé amoureux de qui que ce soit, et il y avait de fortes chances pour que ça reste le cas pour de bon)... mais ce n'est pas pour autant que l'idée qu'elle ne revienne plus jamais le laissait indifférent.

-Elle est la mère de ma fille, c'est forcément personnel, admit-il finalement. Elle a compté pour moi, je ne peux pas être indifférent à ce qui lui est arrivé.

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ael hocha la tête en entendant les propos de son ami. Il ne lui disait en soi rien de plus que ce que le fé avait d'ores et déjà à l'esprit, mais il n'avait de toute façon pas voulu que Jonathan lui donne une réponse à ses problèmes directement sur un plateau d'argent. Il avait juste eu besoin d'en parler, parce qu'il était préoccupé et avait besoin d'obtenir le soutien des personnes qui l'appréciaient... et en l'occurrence, même s'il ne se doutait pas de combien la réciproque était fausse, Cael considérait vraiment Jonathan comme un ami, une personne à qui il pouvait parler de ses problèmes, qui était capable de l'entendre et, s'il ne pouvait le conseiller, tout du moins l'écouter... Il ne se donnerait sans doute pas la peine d'en dire autant s'il découvrait ce qui traversait l'esprit du myrihande en cet instant. Il ne se donnerait plus la peine de lui dire quoi que ce soit, à la vérité, s'il réalisait à quel double jeu se livrait en réalité son interlocuteur.

Pour l'heure, oui, entendre seulement un simple "je comprends" lui était déjà suffisant et était à ses yeux chose apaisante. Il résumait très bien la situation telle qu'elle était et sans détours, et c'était peut-être aussi le genre de choses que le fé avait besoin d'entendre afin de faire la part des choses et de se décider sur ce qu'il allait réellement faire, sur ce qu'il était apte ou non de faire. Jusqu'ici, il s'était contenté d'attendre, et d'attendre encore. Mais il savait bien ce que l'attente signifiait dans leur cas spécifique. Parfois, les gens revenaient... Après tout, Nessa était revenue, Joachin aussi. Mais dans la grande majorité des cas, ils disparaissaient pour de bon, et c'était une réalité avec laquelle il fallait composer... Avec laquelle Zoile devait composer au même titre que lui-même... Au fond, elle encaisserait peut-être même mieux l'information que lui. Elle possédait une force de caractère incroyable, qui dépassait de bien loin la sienne. Sans aucun doute possible, Zoile avait bien plus hérité d'Arseliann que de lui-même.

-Oui... au fond, je crois que je ferais mieux d'être sincère. L'honnêteté paye toujours, je crois.

Disait-il au menteur émérite qu'était Jonathan Caldwell. Mais là encore, l'image qu'il se faisait de son interlocuteur était aux antipodes de ce qu'il était vraiment. Et la douleur qu'il pensait avoir en commun avec lui n'était rien d'autre qu'un pur écran de fumée.

-Ca me fait vraiment du bien de parler de tout ça avec toi, tu sais.

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ael afficha un fin sourire en entendant la réponse de son interlocuteur. Il avait beau être quelqu'un de très sociable, les personnes qu'il pouvait considérer comme ses amis se comptaient malgré tout sur les doigts d'une seule main. C'est qu'il faisait tout de même une distinction sûre et nette entre les personnes qui, de passage dans votre vie, vous autorisait des conversations agréables et de bons moments et les personnes qui avaient un impact réel et durable sur cette dernière.

En ce sens, entendre Jonathan lui assurer qu'ils étaient amis tous les deux ne pouvait que réchauffer le coeur du fé beaucoup trop naïf, à l'heure où il avait grand besoin de repères, de se savoir entouré de personnes sur lesquelles il pouvait compter à coup sûr et sans l'ombre d'un doute. Pour lui, Jonathan faisait partie de ces personnes. Ce n'était pas nouveau, il avait toujours vu les choses de cette façon, et il avait le sentiment que la mort de leurs frères respectifs avait rendu cela d'autant plus sûr et certain (double naïf). Bref, ils n'avaient pas forcément besoin de se rappeler qu'ils étaient amis tous les deux, c'était un constat de longue date, mais cela faisait tout de même toujours du bien de l'entendre. Du point de vue de Cael en tout cas. Sans se rendre compte du fait que ça n'avait absolumnet rien de réciproque et que Jonathan se fichait certainement de l'opinion qu'il avait sur lui autant que de la création de notre terre.

-Bien sûr, répondit Cael sans se départir de son sourire. Et donc, tu sais que tu pourras toujours compter sur moi si tu as besoin... de parler.

Parce que l'air de rien, si Cael parlait beaucoup de lui-même, il avait le sentiment que son interlocuteur, lui, était très avare en paroles. En même temps, il savait aussi que c'était une affaire de personnalité. Tous les deux n'avaient pas du tout le même caractère. Pas que le fé soit quelqu'un de véritablement expansif non plus, mais disons qu'il se révélait plus prompt et moins hésitant à se confier, en tout cas, et Cael regrettait parfois que son ami garde pour lui ce qu'il avait sur le coeur, même s'il ne pouvait évidemment pas l'obliger à se confier s'il n'en avait pas envie, c'est évident.

-Je crois que je ferais bien de rentrer, je dois récupérer Zoile...

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