Jean | Qui a dit que l'éternité était un présent ? (fini)

Cette histoire qui va vous êtes contée, succinctement –car sinon, cela prendrait des centaines de tomes mais, vous, pauvres mortels, n’avez pas ce temps- est celle d’une lente descente dans la folie, qui oscille entre drame et horreur.

Il s’agissait d’une enfant tout sauf extraordinaire qui vivait dans un petit village modeste. Issue d’une famille aisée, elle ne manquait de rien, allait à l’école avec ses amis, et s’était même fiancée à un autre jeune homme, le mariage étant prévu pour ses seize ans.
Mais voilà que peu après son quinzième anniversaire, elle fut sauvagement attaquée par une créature dont elle ignorait jusque-là l’existence. Un vampire.
Beaucoup périrent, cette nuit-là, et elle ne fit pas exception. Sauf que celle qui n’était ni enfant, ni femme, fut mordue.

Et c’est là que l’histoire de celle qui est aujourd’hui connue comme Jean Carridge commença réellement.

Aussi fière soit-elle de sa mémoire et de ses connaissances, Jean ne se souvient plus avec précision de sa transformation. Peut-être à cause du traumatisme. Par contre elle se remémore parfaitement sa famille, ses amis, tous ces êtres chers qu’elle a perdus (et qu’elle a vu vieillir, et mourir, quand elle ne les a pas tués elle-même lors de crises… ou par compassion, comme pour sa mère, paralysée suite à un accident).
Les siècles se sont écoulés, mais si l’esprit de Jean a vieilli, mûrit, son corps n’a jamais changé. C’est sa malédiction. Elle n’a jamais voulu de cette non-vie et exècre cette existence de toutes ses forces. Même la puissance, même la supériorité que cela lui donne, ne compense pas tous les mauvais côtés. Le soleil lui manque, la vie lui manque, et même le sexe (car il lui est affreusement difficile de trouver des amants, avec cette coquille bien trop jeune).
Néanmoins elle a fait avec, isolée au fond de l’obscure forêt avec d’autres vampires. Dont celui qui l’avait créé, l’un des aînés qu’elle haïssait de toute son âme noircie. Mais elle était encore trop jeune et faible pour pouvoir lui tenir tête alors, après quelques révoltes qui ont toutes finies dans son sang et sa douleur (son créateur avait, semble-t-il, un gros faible pour elle et son caractère imprévisible, au point de ne pas vouloir la tuer, elle rendait son immortalité distrayante) et s’est décidée à patienter. Elle finirait bien par elle capable de le tuer…
…Sauf qu’on lui vola sa vengeance, sa seule raison d’exister. Eric, le leader actuel des vampires, avait pris l’initiative de détruire tous ceux qui étaient plus anciens que lui, dont celui qui avait transformé Jean.

Ainsi les siècles passèrent-ils, dans le sang et la violence, la soif et l’insatisfaction. Jean, trop souvent, a été sous-estimée à cause de son âge apparent, et nombre de créatures et d’humains tombèrent sous ses crocs ou ses plans cruels. Elle n'avait plus rien d'une enfant depuis très, très longtemps.
Mais rien ne la satisfaisait. Jamais.

Si bien qu’il y a peu, Jean a cédé à ses pulsions les pulsions, en tentant de se suicider d’un pieu dans le cœur. Une conclusion fatale évitée de justesse grâce (ou à cause) d’un sorcier qui passait par là… Jean « respire » encore, mais pour combien de temps ? Car plongée dans cette souffrance éternelle de l’esprit, la vampire, aussi puissante soit-elle, est sur une pente glissante.

Jean est une créature bien plus dangereuse qu’il n’y paraît. Sous ses airs angéliques, se cache un vampire profondément torturé, une femme dans un corps d’enfant à l’esprit plus que perturbé, brisé en mille morceaux. Jean est très instable et changeante, il n’existe pas plus imprévisible qu’elle. Elle possède deux faces, telle la lune : l’une colérique, violente, agressive ; l’autre dépressive, malheureuse, la Jean qui ne supporte plus son existence maudite. Elle est capable du sadisme le plus affreux, comme de la plus grande mélancolie. Ses émotions, loin d’être atténuées par son grand âge, sont infiniment décuplées : elle ressent tout à l’extrême, avec une force qui l’a lentement mais sûrement plongée dans une sorte de folie… C’est la croix des vampires, que de perdre un jour ou l’autre leurs esprits. Et peut-être le fait qu'elle puisse encore aimer, être déçue, ressentir la perte... Elle est bien morte mais loin d'être un glaçon.

Extrêmement hautaine, ses siècles de vie lui ont donné un ego surdimensionné. Jean est persuadée d’être meilleure que tout le monde : plus sage, plus belle, plus intelligente, plus forte… Narcissique, elle aime autant qu’elle haïe son reflet, car si elle se trouve magnifique, cette jeunesse apparente l’insupporte, la torture. Tous ceux qui osent la juger sur son apparence et faire des remarques sur son âge ont découverts de quoi elle est réellement capable. Car Jean est une créature redoutable, sans pitié (ou c’est ce qu’elle aime faire croire, mais elle a déjà démontré être capable de compassion à quelques rares occasions), d’un profond égoïsme.
Sa haute opinion d’elle-même n’est pas complètement infondée car, Jean possède une culture et un savoir immense, elle est un véritable puits de connaissances à dents longues et mémoire photographique ; ce qu’évidemment elle adore étaler à tout bout de champ, pédante comme elle est. Quand un autre vampire à une question à poser, ils savent que c’est généralement vers elle qu’ils faut se tourner, même si c’est à reculons.
Jean sait jouer de ses atouts, et notamment de cette fausse innocence que son apparence trahie malgré toutes les monstruosités qu’elle a commises… Mais gare à vous, car ce n’est que pour mieux vous tromper.
Femme torturée n'ayant plus grand chose d'humain Jean est, surtout, très seule. Elle n'a plus rien, ni personne, qui lui donne envie de vivre.