Manque de père, manque de repères [pv papa <3]

J

ane avala d'une traite sa flute de champagne avant de la déposer sur le muret sur lequel elle était assise. Elle ferma les yeux, et poussa un profond soupire. Quand elle les rouvrit, ses yeux tombèrent sur l'alliance qui ornait désormais son annulaire, elle ne pouvait s'empêcher de le triturer machinalement, avec de temps à autres la tentation de l'enlever, et de l'envoyer voler à l'autre bout de la place, comme si par ce simple geste, elle pouvait annuler cette ignoble mascarade dont elle s'était faite la commanditaire. Elle se sentait comme une marionnettiste, à la tête d'un mensonge de grande échelle, en train de manipuler tout son petit monde, son "mari" en tête, comme s'il était de son bon droit de disposer de la vie et des sentiments de tous ces gens. Elle savait qu'elle pouvait être cruelle, elle n'aurait pas imaginé pouvoir l'être à ce point... Elle se sentait dépassée par ce qu'elle avait elle-même initié et créé. Elle se sentait inconfortable dans cette robe de mariée, qui lui allait si bien et très mal en même temps, comme un ridicule déguisement... Son coeur battait à tout rompre, elle pensait que l'angoisse s'apaiserait une fois la cérémonie achevée, mais c'était encore pire, maintenant, les pensées se bousculaient dans sa tête, et il y en avait toujours une pour contredire l'autre. Comment aurait-elle pu se sentir plus mal qu'à cet instant ? Elle ne pensait pas que cela soit possible.

Elle tentait tant bien que mal de retrouver une respiration régulière et une contenance alors qu'elle avait un instant abandonné les bras de son mari et son masque souriant de jeune mariée débordante d'enthousiasme et de bonheur, épanouie comme jamais. Elle n'avait jamais eu jusque là à ce point l'impression de n'être qu'actrice de sa vie, à suivre mot pour mot un script qu'elle se serait imposée à elle-même, quand bien même tout ne lui plairait pas dans ce scénario peaufiné par ses soins. Elle savait qu'elle ne pouvait pas s'éloigner des festivités trop longtemps. Elle avait prétexté avoir juste besoin de prendre un peu l'air et affirmé qu'elle reviendrait vite... Puisqu'elle s'avérait être la "reine de la soirée", on ne la laisserait pas échapper à la présence de tous bien longtemps, quand bien même elle rêvait plus que jamais de s'en extirper. Alors que son regard ne lâchait toujours pas des yeux l'alliance collée à son doigt comme une sorte d'appendice ignoble se plaisant à lui rappeler encore et encore, avec une insistance crasse, dans quoi elle s'était embarqué, et dans quel enfer, surtout, elle était en train de plonger Léo, l'être humain qui au monde méritait le moins d'être considéré comme elle le faisait, elle eut ce sentiment étrange, cette sensation d'être observée. Elle tourna son regard. Dans son dos, il y avait un homme,  sans le moindre doute, il la fixait... Peut-être trouvait-il seulement étrange que la jeune mariée qu'elle était cherche dors et déjà à s'isoler de ses convives, dans tous les cas, ce regard là la mettait mal à l'aise.

-Qu'est-ce que vous me voulez ?

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É

trange attitude que celle de cet inconnu. Jane s'était attendue à ce qu'il s'excuse pour l'avoir dévisagé et passe tout simplement son chemin, ou tout simplement qu'il la félicite avant de faire de même, mais il n'adopta aucune de ces deux choses. Il se contenta de lui asséner une vérité qu'il lui était bien difficile de contester à l'heure actuelle. Il est vrai qu'elle était loin d'avoir le profil de la jeune mariée classique, un sourire épanoui aux lèvres, ne sachant pas lâcher son époux d'une semelle... mais Léo n'était pas son époux. Et elle n'était pas tant triste que confuse, perdue, coupable... Elle avait fait des choix, aujourd'hui, qu'elle regretterait forcément plus tard, elle avait amorcé une bombe à retardement qui irait douloureusement éclater à la figure du plus innocent de tous. Injustice... dont elle était (presque) la seule responsable. Oui, en effet, Jane ne ressemblait en rien à une mariée heureuse, mais dans tous les cas, cette réflexion était dépassée de la part de quelqu'un qu'elle ne connaissait même pas. Qu'elle ne connaissait même pas, et pourtant, quand il avait prononcé ces quelques mots à son adresse, sa voix eut comme pour elle des accents familiers, quelque chose d'étrangement doux et rassurant, et quand son regard croisa le sien, elle eut comme ce sentiment de déjà le connaître... Sans doute l'avait-elle déjà croisé au détour d'une rue, après tout, le village n'était pas si grand, tout le monde finissait par se connaître, ou en tous cas de vie. Toujours était-il que ça ne le regardait pas... mais elle était incapable de le rembarrer trop sèchement, sans vraiment savoir pourquoi. Juste un peu, quand même, pour la forme...

-De quoi j'me mêle. Elle poussa un soupir, ferma les yeux, prit une légère inspiration, puis tourna à nouveau son regard vers cet homme qu'elle ne savait pas être son père. Elle aurait sans doute dû lui demander de se barrer... en même temps ça lui donnait une bonne excuse pour ne pas rejoindre tout de suite les autres, d'autant que, visiblement, elle ne faisait pas illusion, et avait du mal à plaquer un sourire sur son visage. Je ne connais aucun mariage qui ait su durer... se justifia-t-elle finalement, ne sachant même pas pourquoi elle le faisait.

Ce n'était bien sûr pas le noeud du problème, mais c'était vrai malgré tout. Ce n'était pas pour rien que Jane n'avait jamais envisagé de se marier (avant de le faire deux fois dans la même journée, comme quoi...). L'exemple du mariage de ses parents n'était justement pas un exemple, ou alors de tout ce qu'il ne fallait pas faire. Bien sûr, elle n'avait aucune raison de parler de ça à un étranger total, mais allez savoir pourquoi, cet homme lui inspirait un véritable sentiment de confiance, comme si elle pouvait sans problèmes se confier à lui. D'accord, elle ne le ferait pas entièrement, parce qu'il ne faut pas abuser non plus, et que personne ne pouvait comprendre ce qu'elle vivait quoi qu'il en soit, à moins d'éprouver ce qu'elle éprouvait... personne à part Edward, en bref.

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C

et homme avait déjà tous les attraits du mystère. Même s'il lui semblait étrangement familier, elle ne le connaissait ni d'Ève, ni d'Adam, et leur conversation avait pourtant quelque chose d'étrangement personnelle. Il lui donnait son propre sentiment sur le mariage et, clairement, leurs avis sur la question différaient grandement. Elle ne pouvait pas tenir ce moment (qu'elle venait de vivre deux fois pour le prix d'une) comme la plus belle chose qui puisse arriver dans une vie. Pourtant, oui, en épousant son âme soeur, elle s'était sentie vivre l'instant le plus important de son existence... Mais la chose la plus belle ? Non. Pour toute la douleur que cette union allait engendrer, elle ne pouvait pas utiliser ce qualificatif, non, quant à la grande mascarade qu'était son mariage avec Léo, n'en parlons même pas. De toute évidence, ils n'avaient pas la même expérience de la situation. Car oui, Jane, sans rien savoir de cet homme, était convaincu que ce dernier parlait ainsi en connaissance de cause. Sans doute avait-il vécu une grande idylle, et celle-ci s'était achevée tragiquement... d'où le destin qui vous joue des tours... Elle devait avouer être curieuse de savoir ce que sous-tendait cette réflexion. Mais elle préférait ne pas poser de questions... Des indiscrétions de sa part auraient pu en conduire d'autres de la sienne, et elle en avait déjà trop dit... Peut-être aussi, au fond, inconsciemment, éprouvait-elle qu'elle aurait du mal à encaisser ce qu'il était susceptible de lui dire. Somme toute, qu'elle était le fruit de cette idylle qu'elle lui supposait avoir vécu. Ceci dit, elle aurait pu y aller de ses indiscrétions, puisque lui n'attendait pas après ces-dernières pour lui poser des questions indiscrètes. Elle n'avait pas à répondre à cela, ça ne le regardait pas, et pourtant, la réponse lui vint presque naturellement.

-Parce que Léo est le seul qui puisse me sauver...

C'était une pensée extrêmement personnelle. Elle ne savait vraiment pas pourquoi ces mots lui étaient venus si naturellement alors même qu'elle devrait plutôt les enfouir au plus profond d'elle et ne les confier à personne. Surtout pas ce soir. Et auprès de ce sinistre inconnu. Mais c'était la pure vérité. Elle avait espéré que, auprès de Léo, elle se sentirait mieux, elle exorciserait ses démons, et elle serait heureuse, mais c'était tout l'inverse. Et au final, elle allait également rendre malheureux un homme exceptionnel, qui avait déjà éprouvé trop de peines, et qui ne méritait vraiment pas le sort qu'elle lui réservait bien malgré elle.

-Pourquoi j'vous raconte ça..

Oui, pourquoi, au fait ? D'où lui venait ce sentiment de confiance indéfectible qu'elle éprouvait en sa présence ? Il n'y avait aucune raison, et ce n'était pas dans sa nature de s'adresser si librement au premier venu. Elle sentait, quelque part, que parler à cet homme était quelque chose de dangereux.

-Vous êtes qui, d'abord ?

Oui, au fait, qui était cet homme ? Elle ne le connaissait pas, il n'avait rien à faire ici... Elle ne savait pas si elle regrettait ou appréciait sa présence. La vérité lui permettrait certainement de trancher plus nettement la situation. Ou pas, en fait...

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J

ane arqua un sourcils. Décidément, ce type était bien étrange… Et sans doute pas bien commode. Une ombre du passé, disait-il être. Il aurait voulu se montrer plus mystérieux encore qu’il aurait eu bien du mal à y parvenir. Une ombre du passé… Le passé de quoi ? Le passé de qui ? Elle ne devinait pas qu’il s’agissait du sien, bien sûr. Et si elle devait le découvrir, elle comprendrait combien cette appellation pouvait être exacte. Oui, il était cette ombre, cette inconnue qui avait pesé sur sa vie et sur celle de sa mère, et les avait impacté bien plus que ne le devrait une simple ombre. Et en même temps, il était cette ombre protectrice et sans visage qui avait veillé sur elle sans qu’elle ne le sache… Mais comment pouvait-elle deviner ? Sa réponse tenait davantage à ses yeux du discours de mec siphonné (quoi qu’il ne paraissait autrement pas l’être) ou de celui de l’homme qui se donnait de l’importance sans en avoir que de celui qui, en vérité, devait être l’un des êtres les plus importants de son existence sans même qu’elle ait eu l’opportunité de le comprendre… Elle ne réagit pas à cela, elle aurait préféré un nom et un prénom, mais elle ne se sentait pas d’insister… Qu’est-ce que cela changerait, de toute manière ? Tout. Mais elle ne s’en rendait bien sûr pas compte.  De toute manière, il avait déjà embrayé, avec une remarque que Jane trouva tout aussi énigmatique que la précédente.

-Non, je n’ai que ce que je mérite. rétorqua-t-elle un peu froidement.

Une fois de plus, ce n’était pas des réflexions qu’elle devrait faire à un inconnu, mais ça avait été plus fort qu’elle. Et oui, elle le pensait. Bien sûr, qu’elle méritait d’être malheureuse le jour de son mariage, ne serait-ce que parce que les noces que tout le monde célébraient là, à côté… eh bien, ce n’était pas celles qui faisaient d’elle l’épouse d’un autre. Pour tout le mal qu’elle faisait autour d’elle, elle méritait bien de souffrir en contrepartie de la situation. Alors oui, elle était une mariée malheureuse. Tant pis.

-Qu’est-ce que que vous pouvez bien en savoir, vous, de toute façon ? Vous me connaissez même pas. Elle poussa un soupir. Je sais pas de qui ou du passé de quoi vous êtes supposé être l’ombre, mais ça ne vous rend pas à même de comprendre qui je suis.

Elle-même peinait à le comprendre, alors… Non, il ne la connaissait vraiment pas. Alors de quel droit pouvait-il bien se permettre de juger de son droit ou non au bonheur ? Certes, c’était une sorte de compliment que d’affirmer qu’elle méritait plus que ce qu’elle possédait, mais cela ne savait en rien la soulager du poids qui pesait à ce moment précis sur son âme. Son opinion n’avait pas la moindre valeur. Du moins le croyait-elle. Elle ne se doutait pas qu’il pourrait bien en avoir mille fois plus que ce qu’elle voulait bien lui en prêter.

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M

ais c'était qui, ce type ? Ce soi-disant fantôme surgi d'un passé révolu ? Parler avec lui, c'était... étrange. Il l'intriguait, et quelque part, il l'énervait un peu aussi, mais pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir rassurée et confiante, comme si elle le connaissait depuis toujours, comme s'il avait bel et bien fait partie de ce mariage dont elle était en train de complètement oublié le déroulement, tout comme elle négligeait complètement d'aller retrouver son "époux"... S'isoler si longtemps le jour de son présumé mariage (et de son vrai mariage) durant les festivités pour aller parler à un parfait inconnu, il fallait vraiment qu'elle soit extérieure à elle-même. Il y avait quelque chose d'étrange chez cet homme. Quand il faisait mine d'être concerné par elle et par son sort, il ne semblait pas faire semblant, et Jane avait vraiment le sentiment qu'il avait envie de la soutenir et de la comprendre... allez savoir pourquoi. Et bon courage à lui, car Jane était difficilement compréhensible, et pour preuve, l'inconnu avait bien raison, la jeune mariée ne se comprenait pas elle-même. L'époque où elle savait pertinemment qui elle était, où elle allait, et ce qu'elle désirait dans la vie était à présent si lointaine...  Elle avait l'impression que plusieurs Jane se disputaient la place d'honneur en elle, et elles se battaient si violemment entre elles pour obtenir gain de cause qu'elles bousillaient au passage une vie ô combien bordélique... Oui, elle ne se comprenait pas elle-même, mais pourquoi confierait-elle ça à un étranger. Elle lui avait déjà beaucoup trop parlé. Bien plus que nécessaire.

-Vous êtes quoi, exactement, un genre de psy ?

Il se mêlait sacrément de ce qui ne le regardait pas en tous cas. Et en même temps, on ne pouvait pas franchement dire que Jane faisait grand chose pour le dissuader. En temps normal (et auprès de quelqu'un d'autre, sans doute), jamais elle ne serait restée ainsi, elle aurait fissa rembarré l'intrus, et l'aurait invité, à grand renfort d'insultes grossières, à aller voir ailleurs si elle s'y trouvait. Il usait un peu de sa patience, c'est vrai, mais bien moins que ne l'auraient pu d'autres personnes. En attendant, elle ne comprenait vraiment pas ce que pouvait être le but de ce mec. Concrètement, elle doutait fort qu'il en ait vraiment quelque chose à carrer, de sa vie. Ou alors, il avait un trip bizarre concernant les demoiselles désespérées, et dans ce cas, non seulement c'était glauque, mais Jane n'avait pas envie d'encourager ce genre d'attitudes.

-Vous ne m'avez toujours pas dit comment vous vous appelez...

Sans doute parce qu'il n'avait pas l'intention de le faire, pour une raison obscure, mais cette part de mystère, intrigante tout d'abord, pourrait bien lui apparaître angoissante à la longue. Car oui, le type auquel elle se confiait restait un anonyme, et la curiosité était vraiment en train de la démanger sérieusement. S'il continuait sur sa lancée, il faudrait qu'elle se fasse violence et aille retrouver les autres en même temps que sa contenance et qu'elle retourne auprès de ses convives, ça n pouvait pas durer ainsi.

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C

et homme était un véritable mystère. Un mystère familier, mais un mystère tout de même. Jane ne savait vraiment quoi penser de cette conversation. Quelque part, elle trouvait qu'elle lui avait fait du bien, même si elle aurait eu du mal à déterminer pourquoi. D'un autre côté, elle se sentait terriblement désorientée à la suite de cette discussion. Et le pire, dans tout ça, c'est qu'elle ne savait absolument pas à qui elle avait affaire, elle était bien incapable de comprendre ce qu'un type qui passerait là par hasard en aurait logiquement à faire, d'une fille comme elle. Certes, elle ne semblait pas particulièrement heureuse, ce qui pouvait sembler singulier pour une jeune mariée, mais de là, en tant qu'inconnu, à décider de l'aborder... Elle était de plus en plus curieuse de savoir à qui elle avait affaire, et en quoi cet homme pouvait bien s'intéresser à elle, elle était loin de s'imaginer ce que renfermait la réalité. Et mieux valait, d'ailleurs, qu'elle ne l'apprenne pas de suite, car les conséquences en seraient très certainement désastreuses dans tous les cas, mais surtout en ce moment, alors qu'elle venait clairement non pas de s'égarer, mais de se perdre toute entière. Dans cet océan d'incertitude, elle aimait avoir ce léger réconfort, celui d'avoir au moins les réponses aux questions les plus rationnelles qu'elle se posait... Mais manifestement, ce n'était pas une chose que l'homme avait l'intention de lui accorder, puisqu'il ignora sublimement les mots qu'elle venait de prononcer pour tout simplement lui faire remarquer qu'il serait temps pour elle de retourner aux festivités qui étaient, après tout, organisées à moitié en son honneur, même si elle ne méritait rien de tout cela.

Oui, il avait raison. Elle avait traîné trop longtemps à l'écart des festivités, son attitude ne ressemblait en rien à ce que l'on était en droit d'attendre d'une jeune mariée, heureuse de pouvoir savourer ses premiers instants en temps que Mme Ridley, mais le fait est que feindre le bonheur était un exercice difficile. Elle n'était pas pressée de retrouver ses atours hypocrites, pour réussir à faire illusion auprès de la famille et des amis du "jeune couple". Ceci dit, c'est un fait qu'elle ne pouvait plus s'attarder très longtemps, Léo risquait fort de s'inquiéter si elle ne reparaissait pas rapidement. Mais elle ne partirait pas de suite quoi qu'il en soit. Et pour une raison simple, au passage. Elle détestait qu'on l'ignore, ce que l'homme venait clairement de faire. Elle avait posé une question, elle était en droit d'avoir une réponse, non ? C'était légitime, après tout.

-Non. Répondez à ma question, d'abord.

Eh oui. C'était bel et bien un ordre. L'homme ne lui était pas antipathique, loin de là, mais elle trouvait assez injuste le fait que, alors qu'elle s'était confiée à elle, il ne prenne pas même la peine de lui décliner son identité, ce qui, tout de même, était la moindre des choses. Elle ne demandait pas la lune non plus. Juste un nom et un prénom. De quoi lui permettre de mettre un nom sur un visage. Elle ne serait sans doute pas exaucée. Et ce serait tant mieux.

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oachin, c'est tout. Un simple nom, et il disparaissait dans la nature, et cette fois, Jane ne voyait plus d'arguments pour le retenir, de toute façon, cette réponse avait largué comme un frisson dans son échine. Joachin, c'était pour elle un prénom familier, et pour cause, c'était celui du père qui les avait abandonnés, elle et sa mère. Oh, Jane n'en était pas pour autant arrivée à la conclusion qu'elle venait tout juste de parler avec son père, ça non, d'autant qu'il ne semblait de toute façon pas avoir l'âge d'être son père, seulement, cette réponse lui donnait plus encore l'impression d'avoir conversé à l'instant avec un fantôme, surgi d'elle ne savait où, venu perturber plus encore une journée qui l'était déjà beaucoup. Alors qu'elle regardait l'homme s'éloigner, elle était bien incapable de savoir quoi penser de ce qui venait juste de se produire. Cette discussion lui laissait un goût à la fois doux et amer, et même si elle ne comprenait pas tout à ce qui s'était dit, et à qui elle avait eu affaire, elle avait la conviction, au fond d'elle, que cette conversation n'avait pas été anodine, qu'elle devait avoir de l'importance. Peut-être pas aujourd'hui, mais qui sait, plus tard. Pour une fois (et notons que c'était un fait rarissime chez Jane Hardwick), elle avait effectivement raison. Dans un léger soupir, elle abandonna finalement son poste. Elle s'était échappé de ses propres festivités trop longtemps pour que cela ne soit pas trop suspect. Il était grand temps de rejoindre les autres et de se rappeler à la place qui était désormais la sienne... ou presque, puisque la fête, là, à côté, n'était qu'une mascarade de plus, sur une longue liste, très longue, même.

Elle prit une grande inspiration, lissa les plis de sa robe dont la blancheur était un mensonge de plus sur une longue liste, se saisit de sa coupe de champagne, et afficha un fin sourire sur ses lèvres avant de retourner dans la fosse aux lions. Les invités semblaient s'être effectivement interrogés sur son absence, mais elle sut faire bonne figure, prétendant seulement avoir eu besoin de prendre un léger bol d'air (ce qui était compréhensible de sa part quand on savait combien elle exécrait de manière général les festivités de son genre, que ce soit en petit comité et en son honneur n'y changeait rien), avant de se précipiter dans les bras de ce faux mari qu'elle semblait s'être engagée à faire souffrir en même temps qu'elle s'était engagée, pour de faux, bien sûr, à lui. Et pourtant, elle le voudrait toujours aussi heureux qu'il semblait l'être maintenant... Sa vie n'était pas prête de prendre un meilleur tournant. Et cette rencontre venait de le prouver. Elle ne pouvait pas deviner, bien sûr, combien elle était cruciale, et combien l'homme qu'elle venait de laisser s'en aller était important pour Jane sans même qu'elle en soit consciente. Cette journée devait marquer un tournant décisif pour elle, et sur tant d'aspects de son existence qu'elle ne pouvait le comprendre, bien sûr, qu'à moitié.

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