Le sommeil de l'enfance s'achève en oubli [pv Joachin :3]

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oute vampire pouvait-elle être, Coraline n'avait jamais éprouvé le besoin ou la nécessité de vivre auprès de ceux qui étaient désormais les siens. Oh, elle ne les fuyait pas non plus. Sans l'un d'entre eux, elle ne s'en serait sans doute jamais sortie, elle ne serait jamais parvenue à apprécier et accepter sa situation nouvelle (mais sans celui-là, elle ne serait pas non plus devenue qui elle était à présent, alors y avait-elle gagné au change ? - Pour répondre à cette question, il aurait fallu qu'elle ait conscience de cet état de fait, et ce n'était bien sûr pas le cas), mais elle ne se sentait redevable qu'envers Joachin. Les autres vampires, elle tolérait leur présence sans pour autant la rechercher, tout comme, par ailleurs, elle s'était progressivement détaché de celui qui l'avait initié à l'obscurité, faute de pouvoir la ramener à la lumière... Il n'y avait plus rien à sauver en elle. Elle passait presque l'intégralité de son temps à accomplir les missions que le Sorcier lui confiaient. Elle n'était pas toujours d'accord avec ses méthodes, mais on ne lui demandait pas de réfléchir ou de donner son opinion, seulement d'accomplir la volonté de l'homme qui lui avait sauvé la vie autrefois, et de se plier à ses exigences, alors elle le faisait, en automate qui s'assumait en tant que tel, et ne prenait pas ombrage de son statut. Il avait fait d'elle une adversaire plutôt redoutable, qu'il valait mieux éviter de croiser à l'ombre des arbres ou dans l'obscurité de la nuit... Elle se débrouillait bien sans ses pairs. C'était du moins ce qu'elle voulait croire.

Pour cette raison, elle ne côtoyait pas aussi assidûment que d'autres pouvaient le faire le repère des vampires. Elle n'en avait pas le temps, de toute manière, les missions qu'elle accomplissait pour le Sorcier accaparait tout son temps, et le bon petit soldat qu'elle était s'en contentait tout à fait. Au moins cela donnait un minimum de sens à ces jours sans fin qui s'égrainaient sans but, puisque, quoi qu'il en soit, ils n'étaient que des fragments d'éternité, des grains de poussière dans l'univers, autrement dit rien du tout. Rien qui ne soit tout du moins absolument digne d'intérêt. Il n'y avait que quelques occasions, en définitive, au cours desquelles Coraline acceptait de se mêler aux autres vampires qui pouvaient se trouver alors sur place, ces occasions, c'était les soirs de pleine lune. Il n'était sans doute pas très vampirique que d'exprimer les choses ainsi, mais Coraline, qui n'avait pourtant pas froid aux yeux et pouvait assassiner à tour de bras humains et créatures, ne haïssait pas seulement les loups-garous, elle les craignait. Après tout, l'un d'entre n'avait été qu'à deux coups de griffes de la tuer, et ce souvenir impérissable, malgré les années depuis passées, l'invitaient à demeurer auprès des siens quand une lune ronde, blanche et pleine éclairait le ciel. Si elle devait affronter l'un de ces lycans, elle préférait que ce soit en ayant l'avantage du nombre. Peu avant la tomber de la nuit, alors que le ciel déclinait, elle se rendit donc dans le repère des vampires. Quelques uns des siens étaient là, elle ne leur prêta pas attention, à aucun d'eux... sauf un... qui se tenait à l'écart, comme elle-même avait tendance à le faire. Ce n'était, après tout, que l'un de ses très nombreux points communs avec Joachin... même si leurs chemins autrefois si proches, avaient pris des tournants très différents. Coraline hésita un peu, mais décida tout de même de venir lui parler. Malgré cette distance qu'elle avait initié elle-même en rejoignant le Sorcier, Joachin n'en demeurait pas moins le seul individu au monde pour lequel elle éprouvait cette ombre de sentiment qu'elle se refusait à ressentir autrement (exit de celui à qui elle avait laissé absolument tous ses sentiments pour n'en garder aucun, sans qu'il le sache).

-Bonsoir Joachin.

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oraline ne savait trop que répondre à la question de son interlocuteur. Pourtant, ce semblait être une question simple qui appelait une réponse tout aussi simple : elle allait bien ou elle n'allait pas bien. Et elle décidait de répondre ou non. En fait, face à tout interlocuteur autre que Joachin, elle se serait contentée d'ignorer la question, en fait, elle ne serait clairement pas venue parler à quelqu'un d'autre que son interlocuteur. Rester à proximité de ses pairs pour éviter l'assaut des loups-garou, c'était une chose, oui, mais communiquer avec ses comparses n'était pas franchement une activité après laquelle elle voulait courir. Mais l'homme qu'elle avait auprès d'elle était une exception. Elle s'était certes éloignée en rejoignant les rangs du Sorcier, elle n'en oubliait pas moins tout ce que Joachin avait fait pour elle. Même si elle ne savait fort heureusement pas tout de ce qu'il avait fait "pour" elle, justement. Alors elle ne pouvait pas seulement l'envoyer balader, elle savait qu'il s'intéressait véritablement à sa réponse, et elle n'avait pas envie de lui mentir. D'un autre côté, elle-même ne savait pas si elle allait bien ou pas. En fait, c'était sans doute aucun des deux. Elle n'allait pas mal... elle n'allait pas bien pour autant. Elle se contentait de vivre, un point c'est tout. Le moindre fragment de bonheur lui avait été ôté il y a bien des années, quand il était parti pour ne plus jamais revenir. Elle avait appris à ne pas être malheureuse, certes, mais elle se contentait d'être, c'est tout, avec pour unique sens à sa vie désormais de servir le Sorcier, même si elle ne croyait pas dans tous ses objectifs.

-Je suppose. finit-elle par répondre après un léger temps de réflexion, faute de vraiment savoir quoi dire d'autre. Et toi ? demanda-t-elle, tout aussi concernée, parce qu'il était le seul (ou en tous cas l'un des rares) dont elle se souciait vraiment. J'ai appris que ta fille s'était mariée.

Même elle avait eu vent de cette information. Quand bien même elle ne vivait pas au village, c'était le genre de rumeurs qui circulaient bien vite. Elle n'y prêtait pas garde d'ordinaire, mais puisque la demoiselle portait le nom d'Hardwick, forcément, ça changeait la donne... et elle supposait que son interlocuteur avait dû être touché, d'une manière ou d'une autre, par cette information... Ce qui lui déplaisait, quelque part... Au final, Coraline avait le sentiment d'avoir été plus longtemps une fille pour Joachin que Jane, et même si elle ne savait presque rien de cette dernière, elle ne la tenait pas par conséquent en très grande estime. Elle se demandait quel pouvait être l'opinion de son créateur (qu'elle ne savait pas être son créateur) sur la question, tout le monde n'était pas capable du même détachement qu'elle, encore qu'elle n'était peut-être pas si détachée que cela. Il était facile de prétendre qu'elle n'en avait rien à faire tant qu'elle ne l'avait pas sous les yeux. Qu'arriverait-il, par exemple, si on lui apprenait un jour le mariage de Scott ? Interdiction de ne serait-ce qu'y penser.

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ue Joachin soit au courant du mariage de sa fille, cela ne surprenait en rien Coraline, bien au contraire. D'ailleurs, elle ne se serait pas permise d'évoquer le sujet si elle n'avait pas pensé qu'il en était informée. Elle n'était pas toujours d'une grande délicatesse, mais tout de même, pas à ce point là. Si même elle, qui ne s'intéressait pas le moins du monde à la vie du village et préférait en rester éloignée le plus possible, avait pu être informée de cette histoire, il n'y avait pas grand chose d'étonnant à ce que lui, qui, tout en ayant "abandonné" sa femme et sa fille, poursuivait de veiller sur eux à distance, ait eu vent de ses noces. Oui, à ça, elle s'était attendues. Par contre, jamais elle n'aurait cru qu'il aurait prit le risque d'assister à la cérémonie, même de loin, puisque cela signifiait tout autant qu'il prenait le risque d'être reconnu. Lui qui était si prudent d'ordinaire, lui qui avait su disparaître de la vie de sa famille pendant si longtemps, presque aussi longtemps que Coraline était un vampire, elle avait du mal à croire qu'il ait pu se montrer à ce point imprudent. Ça avait dû lui faire un choc, remettre des choses en perspective, que de découvrir que son enfant, qui ne l'avait pas vu depuis seize ans et l'avait perdu de vue trop tôt pour se souvenir de lui, soit maintenant mariée... Coraline pouvait comprendre. Il y avait bien un mariage, s'il devait avoir lieu, auquel elle savait pertinemment qu'elle assisterait malgré tout ce que cela avait d'inconséquent. On peut museler son coeur autant que l'on veut, c'est toujours lui qui nous dicte notre conduite, au final, même si c'était vraiment pure folie de la part de Joachin de ne pas seulement s'être contenté d'assister à la cérémonie mais d'avoir, en plus, parlé à sa fille.

-Tu n'aurais pas dû faire ça. nota-t-elle d'un ton plus froid que celui, déjà peu amène, qu'elle employait d'ordinaire. Et pour cause, le sujet de Jane était peut-être délicat pour lui, mais il l'était aussi pour elle. Ne l'avait-il pas fréquentée, elle, plus longtemps que sa propre fille ? Et pourtant, elle ne serait sans doute jamais considérée comme tel par celui que, sans jamais le reconnaître, elle avait prit et prenait toujours pour un père de substitution, ce même si elle avait prit la décision de s'éloigner pour se mettre au service du sorcier. Tu lui as dit quoi ?

Pour le coup, la réponse de Joachin l'intéressait vraiment. Elle était plus que curieuse de savoir ce qu'il avait pu dire à sa fille. Il n'avait quand même pas osé lui dire la vérité, n'est-ce pas ? Non, Joachin était un homme intelligent... Mais quand même, elle appréhendait très sérieusement. Mais même s'il ne lui avait pas dit la vérité, elle se demandait tout de même ce qu'ils avaient bien pu se raconter, et elle sentait s'éveiller en elle ce fond de jalousie qui ne se calmerait sans doute pas quoi qu'il lui réponde.

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oraline n'avait pas son pareil pour dissimuler ses émotions, pour fermer son visage et lui interdire la moindre expression qui puisse révéler le fond de sa pensée. Elle avait décidé de fermer son coeur à tout sentiment (l'avenir lui montrerait qu'elle n'y avait pas vraiment réussi, d'ailleurs), et donc, elle n'en affichait pas davantage, cela lui permit de dissimuler tout du soulagement qu'elle avait ressenti en entendant que Joachin n'avait pas révélé à sa fille sa véritable identité en allant lui parler. Et non, ce n'était pas parce que cela aurait été une mauvaise idée, manifestement, mais simplement parce que, très égoïstement, Coraline n'avait pas envie que le père et la fille se retrouvent, surtout pas. Il était sa seule famille, à présent, et même si elle s'était éloignée de lui, elle n'avait pas l'intention pour autant de le partager avec qui que ce soit, et encore moins avec la fille légitime du vampire qui, forcément, était la plus à même de le voler à son attention. Alors bien, il n'avait rien dit de qui il était vraiment, mais que s'étaient-ils dit alors ? Coraline put deviner en substance ce qu'avait dû être la teneur de leur discussion quand Joachin quand il lui apprit que Jane semblait vraiment triste, étrange attitude pour une jeune mariée, en effet... À moins qu'elle n'ait pas réellement voulu de ces noces ? Dans tous les cas, la buveuse de sang avait tendance à penser que s'il existait une occasion ou le malheur n'avait pas sa place, c'était bien un mariage dont elle était la protagoniste.

-Si tu veux mon avis... Et en l'occurrence, il ne devrait pas le vouloir, car Coraline était tout sauf objective, et, en toute subjectivité, elle pouvait se montrer particulièrement cruelle. Elle est ingrate. Elle ne se rend pas compte de la chance qu'elle a.

Oui, ces mots étaient violents, surtout à adresser au père de la concernée, qui ne demandait sans doute qu'à retrouver cette vie de famille qui lui manquait tant. N'empêche qu'elle se contentait de dire ce qu'elle pensait. Jane Hardwick avait de la chance. Elle menait sa vie humaine dans la plus parfaite insouciance (oui, Coraline ne savait vraiment rien de sa vie), et elle pouvait être aimée, profondément aimée, au point d'être épousées... Et cela, elle, elle n'y aurait jamais le droit. Du haut de ses treize ans, avant d'être transformée et coincée à tout jamais dans cet âge, elle avait eu ces rêves de petite fille, ceux d'un beau mariage en blanc et d'un prince charmant qui comblerait sa vie de bonheur. Le prince charmant, elle avait sans doute croisé sa route... Mais le beau mariage, la famille unie, elle n'y aurait jamais droit. Elle ne pouvait pas s'en plaindre auprès de Joachin, bien sûr, s'il avait été marié, et s'il avait eu une famille, il avait tout perdu, c'était peut-être pire que son cas à elle. Mais elle avait malgré tout en elle cette rancoeur qul avait fait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui, et qui s'exprimait dans les mots, secs et rudes, qu'elle avait adressé à son interlocuteur.

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oraline n'avait en rien l'intention de revenir sur ce qu'elle venait tout juste de dire à un père qui, de toute évidence, se montrait tout simplement inquiet pour son enfant (parce qu'il était justement un père qui se montrait tout simplement inquiet pour son enfant). C'est vrai, Jane Hardwick, s'il fallait se montrer un peu objectif, n'avait peut-être pas eu la vie facile. Mais qui, dans toute notre terre, pouvait véritablement affirmer que c'était son cas, que son existence était un long fleuve tranquille ? Il fallait voir la vérité en face, tant qu'à faire, en ces lieux, il fallait avoir une vaine de cocu pour ne souffrir de rien, le mal s'abattait sur chaque être, et tout le monde avait ses difficultés à affronter. Elles étaient seulement plus ou moins grandes, et celles de Jane, à l'humble (ou pas si humble que ça) avis de la buveuse de sang, ne sauraient rivaliser avec celles de bien d'autres. Vraiment, la jeune humaine (qui n'était en fait pas humaine, mais comment Coraline aurait-elle pu le savoir ? Même Joachin n'était pas au courant de cela) ne savait pas quelle chance elle avait. Coraline échangerait sa place avec elle dans la seconde, si l'opportunité lui en était donnée, et elle ne pensait pas avoir le moindre regret à formuler ensuite. Bien sûr, c'était simple de présumer de la sorte alors qu'elle ne savait absolument rien de cette fille, mais elle laissait parler son instinct. Et son instinct se teintait d'une jalousie certaine à l'idée que Joachin puisse éprouver tant d'amour encore pour sa fille à qui il n'avait adressé que quelques mots en plus de quinze ans, tandis que elle, en chair et en os, et bien plus souvent sous ses yeux, ne pourrait jamais prétendre à l'affection que son interlocuteur portait à sa progéniture.

-Tu parles ! Plus facile que la notre, en tous cas. répliqua amèrement Coraline, toujours en toute mauvaise foi. Elle a perdu son père très jeune, d'accord, c'est triste, mais elle a eu seize ans pour s'en remettre, et elle était de toute façon trop petite pour avoir des souvenirs de toi. Contrairement à elle, donc, qui avait perdu ses parents alors qu'elle avait l'âge de douze ans, et qui avait tout le loisir de conserver leur visage, leurs voix, leur passé commun, en mémoire, quoique cette mémoire, qui promettait de survivre à des siècles et des siècles désormais, pourrait bien s'amuser à les rayer de la carte, perspective qui angoissait terriblement Coraline, au demeurant. Elle, elle est vivante, elle, elle peut se marier, elle a le droit d'aimer. La voix de la jeune fille se brisa légèrement à cette-dernière remarque, alors que ce qu'il y avait de froideur dans son timbre et son expression avait soudain été mis à mal par ce qui ressemblait un peu trop à une légère vague d'émotion. Elle n'a pas à se plaindre de sa vie, vraiment pas.

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on, en effet, Coraline ne devrait pas se comparer à la fille de Joachin, elles n'avaient en commun que le père de la jeune fille. Mais c'était déjà un point commun de trop, qui l'invitait inévitablement, inexorablement, à la comparaison... et à la jalousie, également. Car la jeune femme à l'apparence de gamine devait bien le reconnaître, sa réaction était avant tout une réaction de jalousie. Elle enviait la vie de la jeune fille alors qu'elle ne l'avait jamais même croisé, elle ne savait pas à quoi elle ressemblait, elle ne savait absolument rien d'elle, et pourtant, elle la haïssait et serait prête à tous moments à échanger sa vie contre la sienne. Parce que Jane était humaine, tout simplement, parce qu'elle avait, malgré la distance et les années, l'amour inconditionnel d'un père, l'amour inconditionnel de Joachin. Elle ne pouvait vraiment pas faire autrement que d'examiner sa vie (ou plutôt sa non-vie) au regard de cette humaine (qui n'en était pas une, en définitive, mais ça non plus, elle ne le savait pas). Et quoi qu'en dise Joachin, même si il avait raison, elle ne cesserait sans doute jamais de le faire, parce que ce serait tout simplement plus fort qu'elle, elle n'y pourrait rien. Et pourtant, ouais, personne ne pouvait savoir ce qu'elle traversait. Pas même son interlocuteur, d'ailleurs, car lui avait au moins eu la chance de connaître l'amour, et de le vivre quelques années durant, même de fonder une famille. Certes, s'en séparer avait dû être douloureux, mais au moins avait-il connu une parcelle d'existence à laquelle elle ne saurait jamais accéder... Et dont elle rêvait, pourtant. Ce qu'elle vivait était une véritable épreuve. Et une épreuve qu'elle ne surmonterait jamais. Parce que c'était impossible. Parce que c'était trop tard.

-Non, c'est vrai personne ne peut comprendre. admit-elle à mi-voix. Et elle aurait aimé, pourtant, que quelqu'un la comprenne. Joachin était peut-être celui le plus à même d'entrevoir ce qu'elle traversait, parce qu'il savait ce qu'était la condition de vampire et combien il pouvait être difficile d'accepter son immortalité, tout comme lui aussi avait renoncé à ce qu'il aimait du fait de sa condition. Cela étant, il n'avait pas toutes les clés en main pour vraiment interpréter la situation. Elle n'avait personne à qui se confier, et ses pensées se brouillaient, douloureuses, sans personne auprès de qui les extérioriser. Parfois, j'aimerais que ça s'arrête. Pour de bon.

Elle poussa un profond soupir. Au-delà d'être mortelle, elle se disait parfois qu'elle aimerait mieux être morte. Cela mettrait fin pour de bon à son supplice, mais elle était tout bonnement incapable de le faire. Elle ne supportait pas son éternité, mais elle ne parvenait pas pour autant à y mettre un terme. Elle se contentait de l'envisager, et c'était déjà beaucoup trop.

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oraline hocha doucement la tête en signe d'approbation quand Joachin lui fit remarquer que beaucoup des leurs auraient préféré une mort définitive et radicale à cet ersatz de mort qui les obligeait à errer ainsi parmi les vivants, sans raisons ni buts, sauf ceux qu'ils parvenaient, non sans difficulté, à en trouver, qui n'étaient alors jamais que factices. Elle pouvait bien se plaindre, mais ils étaient des centaines à être dans le même cas qu'elle, en définitive. On leur avait ôté la vie par appétit, ils n'avaient rien demandé à personne, et ils étaient contraints à une éternité entière de souffrances sans nom. Ce n'était juste pour personne, absolument personne. Il y en avait, bien sûr, les plus rodés et les plus cruels, pour prendre plaisir à une telle situation, mais la plupart subissaient plus qu'ils ne vivaient, et pour eux, l'expérience était difficile, douloureuse, une torture au quotidien. Oui, Coraline aurait préféré mourir ce jour là, mais Joachin avait sans doute, et à plus forte raison, les mêmes envies lugubres, par moments. Elle avait perdu sa famille, elle était résignée à ne plus revoir Scott, mais lui, c'était une mère et une fille qu'il avait laissés de côté. Une mère et une fille qu'il aimait sincèrement et qui le croyaient mort. Il devait vivre avec sur la conscience que la vie continuait, pour elles, sans lui. Comment le supporter ? Comment l'accepter. Le verbe "damner" avait dû être inventé pour les gens comme eux, et utilisé pourtant par ceux qui ne pouvaient absolument rien y comprendre. Quand Joachin ajouta qu'il était ravi qu'elle ne mette pas fin à ses jour, elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. À vrai dire, cette pensée lui revenait constamment, et elle songeait qu'il n'était pas exclu qu'elle passe à l'acte, à un moment ou à un autre. Mais quand celui qui l'avait sauvé autrefois (c'est du moins ce qu'elle croyait) lui affirmait par ce biais tenir à elle et ne pas vouloir qu'elle fasse quoi que ce soit d'irrémédiable et de définitif, elle se disait que ce père d'adoption constituait à lui seule au moins une bonne raison de vivre.

-Je ne peux pas te promettre de ne pas céder à la tentation un jour. répondit-elle alors sans pour autant se départir de ce léger sourire.

Le fait est qu'elle disait la vérité. Il valait sans doute la peine qu'elle se batte et renonce à l'idée d'une mort définitive, mais l'éternité était longue et difficile à supporter, et Coraline n'était qu'aux prémices de la sienne. Un jour, elle craquerait sans doute. Le jour où Scott mourait, peut-être ? De vieillesse, l'espérait-elle. Elle, elle serait toujours coincée dans cette détestable apparence qui lui collait à la peau, et elle n'aurait plus la moindre raison de rester. Plus rien qui sache lui donner envie de fouler notre terre. Ce jour là, ce jour terrible qu'elle appréhendait déjà, la présence de Joachin à ses côtés ne suffirait sans doutes pas.

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eur conversation n'avait rien de bien heureuse, il faut bien le dire, mais au fond, il était normal qu'ils abordent le sujet, c'était forcément une pensée qui les préoccupait régulièrement, logique quand on connaissait leurs histoires respectives, qui n'étaient pas loin de se ressembler, par ailleurs, et qui justifiaient sans doute qu'ils s'entendent aussi bien. Ils n'avaient pas voulu leur condition, et ils avaient perdu beaucoup à cause d'elle : famille, amour, vieillesse. Il était normal que, parfois, leurs pensées divaguent et qu'ils songent à mettre un terme à tout cela. Cette pensée n'abandonnerait jamais l'esprit de Coraline, elle ne pouvait donc pas promettre à son interlocuteur de l'abandonner, même si elle se doutait que Joachin aurait préféré le contraire. Et l'inverse était tout aussi vrai. Qu'adviendrait-il d'eux, après tout, quand Scott, Jane, Natasha... ne seraient plus ? Quelles raisons auraient-il encore de lutter contre une mortalité qui leur manquait terriblement, comment ne pas envisager une fin définitive plutôt que cette éternité, qui était loin d'être une bénédiction mais bien plus une malédiction ? Certains vampires avaient l'air de bien vivre la situation, elle ne savait pas comment ils faisaient, elle n'était pas sûre de les envier vraiment. Leur vie devait être bien vide, car pour ne rien regarder, il ne fallait tenir à personne. La buveuse de sang n'était manifestement pas capable de cela. Coraline ne voyait qu'une seule raison, au final, de poursuivre, pour sa part. Et elle était juste à côté d'elle.

-Si jamais j'oublie pour de bon l'idée de tout arrêter... reconnut-elle en adressant un très léger sourire à son interlocuteur. C'est à toi que je le devrais.

La jeune femme, qui semblait bien plus jeune qu'elle ne l'était en réalité, était parfaitement sincère. Elle n'avait plus grand chose dans son existence, mais elle avait Joachin, et elle lui devait vraiment beaucoup (et plus qu'elle ne le supposait, mais ça, elle ne s'en rendait pas compte). Il était le père qu'elle avait perdu, et si l'éternité savait garder un attrait quelconque, ce n'était pas à cause du Sorcier et des missions qu'elle réussissait pour lui, mais grâce à la présence du buveur de sang, elle se sentait un peu plus forte. Suffisamment pour tenir le coup éternellement ? Ce n'était pas sûr pour autant.

-Je ferais bien d'y aller, je crois. ajouta-t-elle.

La nuit était tombée depuis un moment. Il allait lui falloir retrouver Dean Appers. Bon, en vérité, elle avait sans doute un peu de temps devant elle, mais la conversation qu'ils venaient de voir l'avait quelque peu troublée, et elle avait envie et besoin de rester un peu seule. Coraline s'était habituée à la solitude, elle y avait pris goût, même, quand bien même il lui arrivait de se sentir seule, un sentiment que Joachin lui-même ne pourrait pas lui ôter, parce qu'elle n'avait besoin que d'une seule personne, infiniment besoin. Et qu'elle l'avait perdue, il y a des années de cela. Oh, il s'avérait qu'elle le retrouverait, mais il serait de toute façon bien trop tard.

-À bientôt, Joachin.

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