[Event] Il reste encore tellement de choses à apprendre [pv Ambre]

L

a fête du printemps était généralement un moment qu'Ambre attendait avec impatience. Elle y voyait l'occasion de passer du temps avec ses amis, de veiller tard, de s'amuser, de danser, de manger pour dix. Autant d'activités qu'elle trouverait sûrement bien vite désuètes mais que, du haut de ses treize ans, elle savait encore apprécier à leur juste valeur... Cela dit, à la voir ainsi, dans son coin, les bras croisés, poussant un soupir d'ennui, on ne pouvait pas franchement dire qu'elle ait l'air de s'amuser follement. Et en effet, elle était contrariée, et quand Ambre était contrariée, elle rejetait tout prétexte à s'enthousiasmer pour, à la place, afficher une tête de six pieds de long et bouder. Pour cause, toutes ses amies, avec lesquelles elle était supposée passer la soirée, l'avaient lâchées au dernier moment, sous des prétextes qu'elle trouvait à peine valables et qui l'avaient mis de sale humeur.À côté de ça, on ne pouvait pas dire que la situation se soit détendue au sein de la fratrie Baker, et le tout combiné lui donnaient une opportunité idéale pour broyer du noir. Elle restait donc là, prostrée dans son coin, les bras croisés, à regarder les gens s'amuser autour d'elle, et à se retenir de leur balancer des petits objets au visage pour apaiser un peu son sentiment de frustration, quand une jeune femme l'approcha et lui adressa la parole.

C'était Norah Goldman. La demoiselle ne la connaissait pas tant que cela, même si elles s'étaient croisées à plus d'une reprise. Pas de bol pour la journaliste, Ambre n'était vraiment pas d'humeur à se taper un brin de causette,  elle avait juste envie de regarder et qu'on lui foute la paix, et si en plus c'était pour lui signaler qu'elle n'avait pas l'air de bonne humeur... Bien vu, Sherlock, mais franchement, elle n'était justement pas d'humeur à lui répondre.

-De quoi j'me mêle ?

C'était tout ce qu'elle pensait lui répondre au départ, mais alors une brume étrange enveloppa l'espace, avant de disparaître presque aussitôt, et alors, quelque chose changea en elle sans qu'elle comprenne véritablement de quoi il pouvait bien s'agir. Elle se sentit le besoin irrésistible de lui expliquer alors par le menu les raisons de sa mauvaise humeur.

-Mes potes sont des lâcheuses, elles m'ont dit qu'elles avaient des trucs à faire mais je suis sûre qu'elles se sont dégonflées et mes frères me tapent sur le système donc forcément, je respire pas la joie de vivre. Elle croisa les bras. Et je vois toujours pas en quoi ça te concerne.

Ce n'était pas le genre de choses sur lesquelles elles se seraient épanchées de manière générale, mais là, sans savoir quels étaient ses motifs, elle se sentait l'obligation totale de sortir tout ce qui lui venait par la tête, et par conséquent cracher toute sa rancoeur, et en l'occurrence, elle en avait à revendre. Trop pour garder cela pour elle, et même si son interlocutrice n'en avait sans doute que faire, elle aurait le droit à ses explications par le menu. Après tout, c'était elle qui avait posé la question.

code by Mandy

M

ais pourquoi est-ce qu'elle s'épanchait comme ça auprès de son interlocutrice, ce n'est pas comme si quoi que ce soit de ce qu'elle pouvait bien lui dire avait la moindre raison de la concerner ! Mais c'était plus fort qu'elle, Ambre ne contrôlait rien, et elle avait le sentiment que les paroles jaillissaient de ses lèvres avant même que son cerveau ait eu le temps d'ordonner quoi que ce soit. C'était peut-être, tout simplement, les conséquences d'un agacement de plus en plus grand, le résultat de sa frustration : la coupe était pleine, et dorénavant, elle se sentait l'obligation de la vider auprès de la première personne venue, même si ce n'était pas forcément quelqu'un dont elle était excessivement proche, même si elle avait moins de raisons encore que d'autres de recueillir ces confidences qu'elle n'aurait pas davantage fait à d'autres pour autant. Sur ses amies lâcheuses, Norah se permit un commentaire qui ne déplut pas à Ambre, d'autant qu'elle commençait à penser la même chose. C'était agaçant, que de se faire poser un lapin, et, pour quelqu'un qui faisait toujours au mieux afin de maintenir sa côte de popularité au beau fixe, c'était à la limite d'être humiliant. Mais si ces filles n'étaient pas dignes de distinguer qui il était digne de fréquenter et qui ne l'était pas, c'était plus leur problèmes à elles que le sien, au final. Même si passer cette soirée seule l'enchantait à moitié, il pouvait bien y avoir un moyen de profiter de la fête du printemps, même en solitaire, par ses propres moyens. C'était une réponse d'à peu près cet acabit que la demoiselle avait songé à faire à son interlocutrice, mais elle n'en eut pas l'occasion : avant qu'elle n'ait eu l'opportunité de le faire (et allez savoir pourquoi, elle se sentait comme la nécessité de dire absolument tout ce qui lui passait par la tête, et surtout ce qu'elle aurait autrement gardé pour elle), car Norah venait de lui poser une nouvelle question, une question à laquelle Ambre n'aurait clairement pas répondu si elle s'était retrouvée dans son état normal. Sauf qu'elle ne l'était pas, et elle se précipitait sans trop s'en rendre compte sur un terrain plutôt dangereux, au nom de ce besoin tout à coup irrépressible de se confier en long, en large et en travers à la première curieuse venue.

-Preston passe son temps à jouer les pères autoritaires, c'est à se demander si ça l'arrange pas, que papa et maman soient morts. Il n'en a rien à foutre, de comprendre pourquoi, il est trop content de gérer nos affaire. Même quand on lui met des preuves sous le nez, il veut rien voir. Cette réflexion était amère, mais ce devenait effectivement le point de vue qu'Ambre avait sur le plus grand de ses frères, incapable de comprendre ce qu'il y avait de bien plus complexe derrière l'attitude de Preston, qui s'appliquait à la protéger avant toute autre chose. Et Ed, j't'en parle pas, on dirait qu'il y a rien qui l'intéresse à part les cinglées qu'il se tape. Un vocabulaire tout à fait inélégant de la part d'une gamine de son âge, mais il n'était plus à prouver qu'Ambre aurait des leçons à prendre en termes de courtoisie et de politesse. Ils passent leur temps à s'engueuler, j'en peux plus.

Elle tourna son regard vers Norah. Ce fut seulement quand elle eût fini sa tirade qu'elle réalisa qu'elle avait beaucoup trop parlé. Mais qu'est-ce qui lui prenait, à la fin ? Elle n'avait jamais confié le dixième de ces informations à qui que ce soit, pourquoi à elle ? Elle était sûrement tombée au bon endroit (enfin, "bon", question de point de vue) au bon moment. C'est peu de le dire.

code by Mandy

M

Elle en avait trop dit. Et le pire, c’est qu’une part d’elle en avait conscience, mais c’était comme ça, elle était tout simplement incapable de se retenir de dire ce qu’elle avait sur le cœur, alors même que toutes ces histoires ne concernaient jamais qu’elle et ses frères. Les Baker n’étaient pas de nature à laver leur linge sale en public. Bien au contraire, déjà qu’ils se faisaient des secrets entre eux, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’ils en fassent moins aux autres. Mais sous l’impulsion d’une force manifestement plus forte qu’elle Ambre, ne savait rien faire d’autre que de répondre quand on lui posait des questions, et, pire encore que d’y répondre, y répondre avec une honnêteté désarmante, comme poussée par un besoin libérateur de livrer tout, absolument tout ce qu’elle avait sur le cœur. Alors oui, quand Norah l’interrogea sur les preuves que Preston ne voulait pas voir, et qui pourtant étaient autant de pistes qui pouvaient permettre à la fratrie Baker de venger ses parents, elle ne put s’empêcher de répondre quand elle aurait pourtant dû demeurer aussi muette qu’une carpe.

-Ed et moi, on est convaincus que c’est une créature, qui a tué notre père. Un loup-garou, sûrement. Preston n’accepte même pas de croire en ces choses-là, mais en attendant, c’est bien un loup-garou qui a failli me tuer ce soir-là.

Norah ne pouvait bien sûr pas savoir à quoi correspondait ce soir-là, comme elle ne devrait logiquement rien apprendre de l’agression d’Ambre (savait-elle seulement que les créatures magiques existaient, d’ailleurs ?). Mais cette dernière ne contrôlait plus rien, à ce stade. Et, comme résignée, elle acceptait seulement cet état de fait, sans réfléchir plus avant. Se contentant de procéder à ce grand déballage sans tenir compte des évidentes conséquences qui en résulteraient pourtant forcément. D’ailleurs, elle ne put s’empêcher de continuer, quand Norah tenta – rapidement – de prendre la défense de son frère, sous le prétexte que c’était de son âge. Ah ah ah… Oui, Ed était clairement contrôlé par ses hormones, et peut-être qu’Ambre était jalouse de l’attention qu’il accordait à Enjolras et Hardwick, et qui faisait qu’elle se sentait négligée (d’ailleurs, elle n’avait jamais songé à interpréter son attitude comme fruit d’une jalousie quelconque, pourtant ça lui paraissait presque évident maintenant), mais il y avait quand même autre chose. Autre chose, qu’Ambre n’était pas supposée apprendre à son interlocutrice, bien sûr, mais la demoiselle ne réfléchissait manifestement plus du tout à ce qu’elle disait, quoi qu’il en soit. Ce n’était pas prêt de changer à ce stade. En tous cas pour ce soir.

-Peut-être que je suis jalouse, mais ces filles sont quand même des cas. Entre la Sainte-Nitouche imbuvable et la garce en chef. Mariée en plus. Enfin, à la base, j’avais cru qu’elle était mariée… Et franchement, j’crois bien que j’aurais préféré.

Ça, pour ce qui était d’en dire trop, nul doute qu’Ambre battait des records. Elle risquait de le payer cher, plus tard.

code by Mandy

A

pparemment, Norah était parfaitement au courant de l'existence des loups-garous. Ou bien, si tel n'était pas le cas, elle savait bien le cacher, car elle semblait tout sauf étonnée de ce que la demoiselle lui apprenait. Tant mieux, au fond, déjà qu'elle lui en disait beaucoup, beaucoup, (beaucoup) trop... Inutile d'en rajouter une couche. De toute façon, à force, Ambre avait la sensation que tous les humains normaux qui peuplaient encore Notre-Terre étaient au courant de l'existence des créatures... Tout le monde savait et personne ne disait rien. Enfin, presque tout le monde, puisque son frère aîné décidait de demeurer résolument aveugle à ce qui pourtant crevait les yeux (en même temps, quand on a les yeux crevés, on est aveugle, mais ça). Aussitôt, Norah y alla de sa salve de questions. En temps normal, Ambre aurait envoyé paître son interlocutrice dans les grandes largeurs, mais là, allez savoir pourquoi, il n'en était rien. Non pas qu'Ambre ait particulièrement envie de se repaître de confidences auprès d'elle en particulier, mais elle n'arrivait pas à s'en empêcher. Elle gardait ça sur le coeur depuis beaucoup trop longtemps, elle n'arrivait pas à faire autrement. Ça s'échappait tout seul de ses lèvres, de toute manière, et elle laissait faire. Ça faisait un sacré bien, de vider son sac. Même si elle allait sans aucun doute le regretter, et amèrement, par la suite. D'autant que, si ses frères lui tapaient sur le système, jamais elle n'avait eu l'intention de compromettre leurs secrets... Et là, clairement, c'était pourtant ce qu'elle était en train de faire.

-Je pense pas que ce soit le même, non. Mais c'est forcément un lycan, ou une autre de ces saloperies de créatures qui traînent dans la forêt. Il a été retrouvé complètement déchiqueté. C'est pas une bête sauvage, qui lui a fait ça, et ça, Preston est incapable de le voir. Putain, son propre frère est une créature, et il voit rien !

Ouais, elle allait décidément trop loin. Mais elle était incapable de s'arrêter. Plus elle parlait, plus elle avait envie de parler, et c'était de pire en pire. C'était en dehors de tout contrôle, et totalement prise par ce flot inconsidéré de parole, elle ne prenait même pas la peine de culpabiliser, et de réaliser l'embarras dans lequel elle mettait ses frères, et Edward, surtout.

-Pour ça qu'il a épousé l'autre gourde. ajouta-t-elle, toujours dans le même élan. Elle prit une grande inspiration, répondant par la même à l'autre question de Norah, celle à laquelle elle aurait également dû s'abstenir de répondre, pour des raisons évidentes. Edward s'est marié, et évidemment, il n'a pas prévenu sa propre soeur. Ni sa copine, d'ailleurs.

Là, c'est clair, elle était allée au-delà de trop loin, et aucun retour en arrière n'était possible. Elle avait tout simplement révélé un secret qu'elle n'aurait sans doute jamais su elle-même si Jane Hardwick n'était pas aux abonnés absents et si son frère ne craignait pas de crever d'un moment à l'autre. Vraiment, il fallait espérer que Norah ne serait pas trop bavarde, ou alors Ambre venait de mettre son frère dans une merde noire.

code by Mandy

A

mbre n'était pas du genre à avoir sa langue dans sa poche, de manière générale. Elle ne mâchait jamais ses mots, et quand quelque chose la dérangeait ou l'agaçait, elle ne se privait pas de le faire savoir, mais quand bien même ce trait de caractère pouvait ne pas vous rendre prompt à lui faire confiance, elle savait normalement garder un secret. Elle avait été la première à qui Edward avait confié sa nature de myrihande, elle aurait eu mille occasions de le répéter autour d'elle, ne serait-ce que comme une manière de manifester son indignation quant au mariage des deux âmes soeurs, mais elle n'en avait rien fait, pas même à Preston, parce qu'elle respectait le plus jeune de ses deux frères et qu'elle savait tenir sa langue quand elle promettait de le faire... Normalement. Sauf que là, elle faisait n'importe quoi. Elle était en train de tout déballer à quelqu'un qui n'était même pas une amie ou quelqu'un à qui elle pensait pouvoir se fier, elle en parlait à Norah Goldman, qui pourrait bien faire tout ce qu'elle voudrait de cette information, et une fois la machine enclenchée, elle était bien incapable de l'arrêter. Elle hocha la tête quand son interlocutrice lui demanda de lui confirmer qu'Edward était une créature, et elle aurait sûrement apprit d'emblée à son interlocutrice le type exact de créature qu'était son frère, si elle n'avait pas posé dans la foulée une question qui retardait un peu l'échéance. Mais rien qu'un peu. Elle aurait quand même le temps de compléter jusqu'au bout cette grosse connerie que son frère ne pourrait que lui reprocher plus tard (et elle ne pourrait pas dire grand chose pour sa défense, au passage, malheureusement).

-Lui et Hardwick, ils en sont tous les deux. Des myrihandes... Je pourrais pas trop t'expliquer ce que c'est...

Parce qu'elle-même n'avait pas tout compris... Elle avait saisi les grandes lignes, le fait que l'un mourait si l'autre mourait aussi, et qu'ils étaient visiblement incapables de se résister (beurk, beurk, et re-beurk), mais au-delà de ça.. elle réfléchissait à la réponse la plus précise à donner, quand elle aurait dû s'épargner tout détail... Et au-delà de ça, elle ne devrait pas avoir de détails à donner, puisqu'elle n'aurait rien dû dire au départ. Ce temps de réflexion lui était d'ailleurs, sans qu'elle le réalise encore, salvateur, car durant ce temps, les effets de la brume se dissipaient peu à peu... et tout à coup, elle comprenait qu'elle était trop loin, et faute de savoir qui accuser pour cela (et refusant de se blâmer elle-même, évidemment), elle avait bien l'intention de porter ses accusations sur son interlocutrice, à laquelle elle s'adressa sur un ton tout à coup plus agressif.

-Et de toute façon, je vois pas en quoi ça te regarde. Et évidemment que non, ça ne la regardait pas ! Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête pour parler ainsi si légèrement de ce dont personne ne devait être au courant. T'as intérêt à raconter à personne ce que je viens de te dire, c'est pigé ?

Sinon quoi ? Elle ne savait pas. Du haut de ses treize ans, elle ne pouvait pas grand chose. Mais ses frères oui. Oui, elle se réfugiait bien souvent derrière ses aînés.

code by Mandy