Perséphone Enjolras

Aurore Dowie possédait un défaut d'importance : un manque total de confiance en elle et dans les autres, une peur clinique du danger. L'esprit perturbée d'une multitude de peurs irrationnelles, elle ne s'était jamais autorisée à vivre vraiment, pensant certainement que le monde, si elle osait dire ou faire quoi que ce soit d'un tant soit peu déplacé, la dévorerait tout crue. Aurore était donc agoraphobe, algophobe, nosophobe, tanathophobe... En bref, elle était panaphobe, elle avait peur de tout. C'était à ce diagnostic, tout du moins, qu'était parvenu Caleb Enjolras, humain et médecin de son état, et qui s'était fait un point d'honneur à la tirer de toutes ces sources de mal-être qui l'empêchaient de vivre. Une obstination qui se mua en obsession, obsession qui ne pouvait être comprise que d'une manière : il tombait amoureux de sa patiente. Il leur fallut un nombre conséquent de séance, un total mépris du code professionnel, et un courage inespéré de la part d'Aurore pour qu'ils s'avouent finalement leurs sentiments respectifs. Faute de pouvoir être son médecin à titre officiel, Caleb devint le mari d'Aurore... ce qui ne l'empêchait guère de l'inviter à s'épancher sur ses angoisses, dans le but de les annihiler. Quand apprit-il qu'elle était une sorcière ? Peu de temps après leur rencontre, à vrai dire. Caleb ne l'avait pas cru, bien sûr. Pas tout de suite. Mais lorsqu'il vit la magie s'opérer sous ses yeux, il ne put plus douter. Ça ne le mit pas très à l'aise, bien sûr, mais dors et déjà victime de l'ensorcellement le plus répandu en ce monde, l'amour, il accepta tout de son épouse, sa condition comme ses nombreuses phobies.

Trois ans après leur mariage naquit Perséphone, qui fut plus que n'importe quel autre enfant, peut-être, choyé et aimé par ses parents. Il faut dire qu'on ne l'espérait plus, la petite s'était faite attendre, et alors que deux années durant, les tentatives de Mr et Mrs Enjolras pour avoir un enfant s'étaient avérées infructueuses, il ne pensaient plus voir ce miracle arriver. Car oui, aux yeux de ses parents, Perséphone était un véritable miracle. Et pour honorer ce miracle, ils la surprotégeaient. Toutes les angoisses de sa mère se reportaient désormais sur l'enfant. Elle avait tant lutté pour l'avoir, Aurore ne tolèrerait jamais qu'il arrive quoi que ce soit à sa précieuse enfant unique. Alors, malgré les protestations de Caleb, qui aurait voulu que sa fille ait une enfance normale, il ne sut rien refuser à son épouse, et Perséphone grandit dans une sorte de cage dorée.

Oh, l'enfance de Perséphone ne fut pas malheureuse, bien loin de là. Si on la priva de beaucoup de choses, l'amour n'en fit pas partie. Mais quand bien même ses parents l'adoraient, il manquait clairement quelque chose à la jeune fille : des amis...
Faute de pouvoir en avoir qui soient de chaire et de sang, Perséphone faisait des livres de la gigantesque bibliothèque familiale ses plus fidèles amis. Et quand les enfants jouaient entre eux, elle développait ses talents artistiques, sa mère l'initia à la musique, et la demoiselle joue de la flute traversière à la perfection, laissez des crayons et une page blanche face à elle, et elle sera par ailleurs capables de vous dessiner le plus beau des paysages. Le reste du temps, et quand sa mère ne lui donnait pas cours à la maison, elle dévorait livre sur livre, développant sa culture littéraire ainsi qu'un imaginaire foisonnant. Très foisonnant. Au point qu'il n'est plus rare qu'elle néglige la réalité au nom de l'imaginaire. Des amis imaginaires ? Elle en avait des tas, oui, et même encore maintenant. Et alors ?

Les livres n'étaient pas tout ce que Perséphone dévorait d'ailleurs. Très tôt, la demoiselle souffrit d'une hyperphagie compulsive. Elle mangeait tout ce qui lui passait sous la main. Et ses parents lui laissaient bien trop facilement accès aux sucreries. Elle souffrit rapidement d'obésité. Elle s'en fichait. Elle n'avait jamais souffert du regard d'autrui puisqu'elle avait passé son enfance seule.

Ce fut une vraie bataille, que se livrèrent Caleb et Aurore Enjolras pour que la décision soit finalement prise qu'elle étudie parmi d'autres de ses camarades. Aurore souffrait terriblement, surtout après ces années où elle n'avait laissé personne approcher de son "bébé", de la lâcher en pleine nature, mais pour une fois, le père avait eu le dernier mot.

Lâchée dans le monde, elle découvrit ce dont on l'avait préservé jusqu'alors. Les moqueries, qui touchaient aussi bien à son physique qu'à son comportement rêveur, fantasque, et hors-normes. Elle ne tarda pas à devenir une marginale, un sujet de moqueries. Elle donnait l'impression de rien, mais en souffrait beaucoup. Les quolibets étaient plus ou moins violents, les insultes plus ou moins agressives. Dans tous les cas, elles l'atteignaient moralement. La demoiselle sombra progressivement dans une boulimie extrême, aidée de potions de sa création tout sauf recommandables, entre autres. Elle perdit un nombre conséquent de kilos en un temps record, jusqu'à devenir ce qu'elle est maintenant, mais ce non sans conséquences physiques, bien sûr. Ses problèmes d'hyperphagie et de boulimie n'ont toujours pas disparu. Quant au regard des autres ? Il n'a pas vraiment changé. Elle reste cette fille bizarre, un peu cinglée, dont il est si simple de se moquer. Peu sont ceux qui surent voir au-delà, mais parmi eux, il y eut l'homme de sa vie, Edward Baker, son petit ami. Elle l'aime, elle l'adore… malheureusement, son coeur à lui ne lui appartient pas tout à fait. Elle fera tout pour changer la donne, le ramener à la lumière et la lui faire oublier.

Perséphone, c'est le moins que l'on puisse dire, est une demoiselle très calme. Il faut véritablement y aller fort, pour la voir s'énerver, s'emporter. Parce qu'elle est trop faible ou réservée pour faire et dire quoi que ce soit ? Oui, soyons honnêtes, cela joue très certainement, mais même sans cela, il est tout simplement dans sa nature de ne pas s'emporter. La colère n'est pas, à ses yeux, bonne conseillère. Sa douceur et son calme viennent certainement de son caractère rêveur, également. Perséphone a longtemps vécu loin de tout contact humain, seule au domicile familiale, interdite de sortie. Ainsi, elle s'évadait comme elle pouvait, et donc dans son imaginaire, ce qui signifie sans doute que son caractère diffère de celui de la plupart, et qu'on puisse la trouver loufoque et décalée...

D'autres, d'ailleurs, utiliseront des termes beaucoup moins flatteurs, en affirmant qu'elle est naïve. Sans doute un peu, c'est vrai que Perséphone sait faire preuve d'une gentillesse et d'une candeur rare. Mais que voulez-vous, elle veut croire qu'il y a du bon en chaque être humain. Et elle se sent l'obligation morale de protéger et sauver les âmes en peine, les individus en difficulté. Elle peut sembler fragile et influençable, c'est vrai qu'elle l'est un peu, mais il ne faudrait pas la sous-estimer. Elle peut faire preuve d'un courage et d'une force surprenants quand ses convictions sont remises en cause ou les gens qu'elle aime inquiété, d'une fidèlité et d'une loyauté sans faille qui peuvent la mener à accepter les pires sacrifices et concessions.